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« l tape sur des lambis, ça l’attendri c’est très bien
Dans son île on les mange ou on en joue des refrains
Sur Radio Martinique, au bélé il se joint
Il fabrique sa musique et ça lui va bien
Il tape sur des lambis et il joue des refrains
pouet pouet pouet le lambi résonne au lointain »

Bon ben voila, aujourd’hui je vais vous parler du Strombe géant, ou Lobatus Gigas, ou lambi de son petit nom. Je vais l’appeler…. Heuuuu… Gary le Lambi.
Pouet pouet pouet pouet pouet pouet pouet pouet poueeeeet… Ah je vois bien que certains ont du mal à adhérer à ma culture musicale d’un autre siècle.
Allez, un peu de sérieux. Gary fait partie de la famille des Strombinae comme certains escargots marins, nan pas Stromae y zont pas les mêmes yeux, pffff vous n’êtes pas un brin observateur !!!
Il y a encore quelques années, on pouvait en trouver par centaines entre 0 et 100 mètres de profondeur, dans les herbiers ou les sols sabloneux. Aujourd’hui, il se fait rare, victime de la surpêche. Pourtant le lambi a un bon rôle à jouer : Gary est un détritivore (il s’alimente de détritus organiques d’animaux et/ou de végétaux) à tendance herbivore, et a une préférence pour les sargasses. C’est donc un nettoyeur des mers efficace.
Le lambi se caractérise par une énorme coquille constituée de micro-cristaux de carbonate de calcium extrêmement solide. Son poids peut varier entre 700 grammes et 1,500 kg à l’âge adulte et il peut mesurer près de 30 cm. Belle bête ! Donc, Gary est magnifique avec sa conque de couleur rose, crème et blanche. Bon, la bestiole en elle-même est un peu bizarre, elle ressemble à un escargot, avec ses deux yeux perchés au bout de ses antennes, croisé avec, je sais pas trop… Rocco Sifreddi peut être… Ben oui, le Gary des mers, est doté d’un sacré pénis très extensible et noir (oui je sais Rocco n’est pas noir mais bon…) placé en arrière de la tête, un peu comme un stylo qu’on rangerait derrière son oreille. Je suis sur que vous ne regarderez plus jamais votre boucher charcutier ou votre infirmière de la même façon… Ben oui ils ont souvent des trucs bizarres accrochés derrière les oreilles…
Quand les lambis s’accouplent, ils se mettent tout près l’un de l’autre jusqu’à ce que leurs coquilles se touchent. Le mâle se met derrière la femelle ; son pénis s’allonge sous le manteau de la femelle pour déposer le sperme et féconder les œufs. Chaque femelle adulte est capable de pondre 8 fois chaque année et dans chaque ponte il peut y avoir 400 000 œufs voire plus. Ces derniers sont rassemblés en un long filament gélatineux de 30 m de long, lui-même aggloméré avec du sable, en un unique croissant de 10 à 15 cm de diamètre. La ponte dure en moyenne 24 à 36 heures, tu parles d’un accouchement… Une même ponte pourra être le fruit de fécondations de différents partenaires, mieux encore, la femelle lambi peut pondre et s’accoupler en même temps. Quelle santé !
Les œufs de lambi sont des proies de choix pour tous les petits animaux qui les mangent. Après trois ou quatre jours, les œufs se transforment en larves qui, soumises aux courants, se dispersent sur des dizaines voire des centaines de kilomètres. Ce qui peut représenter un transfert de gènes pouvant atteindre 900km.
Vers l’âge d’un an la coquille s’est peu à peu formée et tous les petits Gary s’enfouissent dans le sable pour se protéger des prédateurs. Ils ne sortent que la nuit pour chercher de quoi se nourrir. Ils restent des proies faciles pour les poulpes, les tortues, les crabes et autres poissons affamés et ce jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de trois ans environ. A cet âge-là, leur coquille commence à former un large pavillon étalé qu’on appelle aussi lèvre et qui grandira pour devenir très épaisse. Vers l’âge de quatre ans, ils seront prêts à se reproduire.
Une fois adulte, quelques espèces continuent à s’y attaquer, mais le lambi a appris à se défendre, il se retourne d’un coup sec et file un bon coup de pied à son agresseur. La mawashi geri façon gastéropode en colère. Si ça ne suffit pas, il se renferme dans sa coquille et ferme l’opercule d’entrée. Son plus gros prédateur reste donc, l’homme, bien sûr. S’il ne se fait pas manger ou pécher avant, il peut vivre plus de 25 ans !
En Martinique, Gary est partout, dans les assiettes, sur les marchés… partout sauf dans l’eau… Ben oui, il a tellement été péché et repêché qu’il est désormais bien rare de croiser un lambi adulte lors de nos plongées. Quand on a la chance d’en voir, ils sont souvent encore jeunes, ils sont rigolos avec leur tête d’escargot bigleux qui vous regarde de travers : si vous prenez le temps de regarder sous l’eau le lambi retourné, vous vous rendrez compte que deux billes portés par des tiges vous observent curieusement.
Gary est d’ailleurs maintenant classé comme espèce menacée et partiellement protégé par la Convention de Washington, mais pas parce qu’ils sont rigolos, juste parce qu’ils sont vraiment en voie de disparition.
Alors, ici en Martinique, malgré sa raréfaction, vous ne pouvez pas le louper Gary le lambi, il est même sur le nouveau drapeau de la Martinique. Sur l’ile, il est considéré comme un met de choix. Bon, c’est sûr, la plupart du temps il s’agit de lambis surgelés provenant de Jamaïque, seul pays exportateur de ce gastéropode jusqu’en mars 2019, mais qui a suspendu ses exportations jusqu’à nouvel ordre. La Martinique risque donc la rupture de stock. Il existe bien quelques élevages de lambis, sur les îles britanniques Îles Turques-et-Caïques (ou Turks-et-Caïcos en anglais) ou à Porto Rico mais pas de quoi caler les appétits de lambis des Antillais et des touristes…
Sa préparation est simple, mais il ne faut pas oublier de le taper pendant un bon moment pour l’attendrir, au risque de devoir manger une semelle de tong trop cuite. Il se prépare grillé ou en fricassée, il parait que c’est bon…
Tout est bon chez Gary, il a été très utilisé depuis que les hommes ont colonisé les îles de la Caraïbe.
Les peuples amérindiens en faisaient des outils, des hameçons et aussi des œuvres d’art.
Plus tard, au temps de l’esclavage, il permettait de communiquer de colline en colline pour annoncer les grands événements de la vie : naissance, mariage, mort, mais aussi les révoltes… il est ainsi devenu un symbole de liberté. Il pouvait également servir d’arme de point en glissant sa mimine à l’intérieur de la coquille on obtient un truc assez dévastateur.
Aujourd’hui, le son de la conque du lambi annonce l’arrivée des pêcheurs et la vente des poissons peut alors commencer. Eric en a une sur le bateau, censée remplacer la corne de brume… Bon, autant vous dire que c’est pas gagné, quand Eric s’en sert, on dirait un éléphant asthmatique qui souffle dans un trombone en carton. Chef, j’ai pas dit que tu ressemblais à un éléphant chef, bon… je pense qu’on va adopter un pigeon voyageur…
On l’utilise aussi à des fins décoratives… en pied de lampe par exemple… c’est… oui bon, c’est très kitch mais j’en connais qui aiment… Il orne aussi les tombes des cimetières du sud de l’ile, les Martiniquais y installent une petite bougie qui, à la Toussaint, éclairera les demeures éternelles des ancêtres. Pour finir il sert également aux pêcheurs qui vont attacher plusieurs coquilles de lambis pour former une “ancre” relai entre leur casier et les flotteurs en surface.
Sinon, le lambi, c’est aussi un extraordinaire créateur de… perles roses… Oui, oui , oui, sous ses airs de gastéropode mou au regard bigleux, il sait fabriquer de magnifiques perles, encore plus belles que celles des huitres de Tahiti parait-il.
C’est d’ailleurs la perle la plus chère et la plus rare au monde, 15 000 à 250 000 euros pour une belle perle, ça fait rêver ! D’un rose flamboyant, elle se négocie donc dans le monde à des prix astronomiques certes pour sa rareté, mais aussi pour sa préciosité à l’état brut. Selon les spécialistes, on ne trouve qu’une perle rose sur 10 000 coquillages, et une seule de bonne qualité sur 100 000. Vous l’aurez compris, les mieux placés pour faire fortune sont les pêcheurs mais encore faut-il qu’ils aient la chance de sentir « an ti loup » sous le tablier de Gary…

Morale du jour : Si tu veux à ta dulcinée demander sa main ;
Offre lui donc un lambi, ce sera bien
Ce sera toujours un bel écrin
Même si dedans il n’y a rien
Qu’un vieux gastéropode pas très serein
Bon, tu risques de te prendre dans ta gueule sa main,
Mais après tout, c’est pas ce que tu cherchais sa main ?
Un dernier petit mot en direction de Pifou Nette, ne pas oublier de vider le lambi avant de s’en servir comme objet de décoration… Le gastéropode mort, ça sent vraiment pas bon…
Allez, à demain les amis !

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